Explosions
Depuis le retour de Toulouse, les derniers jours ont été très difficiles, du point de vue de la douleur. C'était aussi un vrai bonheur de retrouver mes enfants, après un vingtaine de jours passés à Toulouse, dans les trois quarts en piteuse état ou hospitalisée.
J'ai eu la chance d'avoir ma mère à la maison pour m'aider à prendre en charge les enfants : j'ai donc pu me reposer autant que j'ai voulu et les enfants étaient très contents de la venue de leur grand-mère. Des amis sont aussi venus me voir, ça m'a fait beaucoup de bien même si j'ai du leur dire, au bout d'un moment : "désolée, mais là, je suis trop fatiguée maintenant".
Je suis partie de Toulouse après une grosse engueulade téléphonique avec mon ex-conjoint qui n'accepte, finalement, pas du du tout que je planifie ma fin de vie avec nos enfants et mon nouveau compagnon à Toulouse. Je voulais lui rappeler que nous avions convenu d'en parler de vive voix les jours suivants. Suite à des suggestions des proches, j'ai trouvé une personne pour jouer le rôle de médiateur : un ami commun (qui est surtout le mien, maintenant) qui est de la même nationalité et ethnie que mon ex-conjoint. Jacques connait très bien ma situation car il m'a tellement aidé, ces derniers mois, que j'avais l'impression d'avoir été plutôt marié avec lui ! D'autant que l'entraide était largement mutuelle, ce que j'adore. Quelle chance qu'il n'habite pas très loin de chez moi et que les enfants l'adorent !
A ma demande, mon oncologue parisienne m'avait confirmé que c'était une bonne idée de préparer ma fin de vie et que si je voulais déménager, il fallait que je le fasse vite, soit avant novembre. Mon oncologue toulousaine n'est pas du tout d'accord avec un tel alarmisme. J'ai "profité" de mon séjour à l'hôpital Toulousain qui me prendra en charge mon suivi médical à l'avenir, pour parler longuement et souvent avec le jeune interne qui l'assiste. De son côté, celui-ci profitait de nos discussions pour poursuivre ses analyses de ma situation. Finalement, j'ai compris qu'ils posaient exactement le même diagnostic à Paris et Toulouse, c'est juste la manière de le communiquer qui diffère.
Moi, j'avais fait le pari que je pouvais entendre l'indicible et vivre avec un délai, somme toute très aléatoire, posé à ma vie. Finalement, il s'avère que ce n'est pas humainement tenable, mais je suis contente d'en avoir fait la tentative.
La discussion avec mon ex-conjoint, avec le médiateur c'est beaucoup mieux passé que la précédente, du point de vue de la communication. Par contre, mon ex-conjoint s'est maintenant enferré dans une position guerrière. J'ai encore vu le pire de lui. C'est, bien sûr, très difficile pour moi mais pas vraiment incompréhénsible : depuis deux ans, il n'arrive pas à vraiment comprendre (accepter) ma situation médicale, qui n'est pour lui qu'un argument oratoire, et il ne s'était pas rendu de compte des conséquences de n'avoir jamais demandé la garde de nos enfants : la situation lui explose, maintenant, à la figure. Le seul point positif, c'est qu'il prend toujours en charge nos enfants quand je suis hospitalisée.
Comment s'étonner qu'au milieu de tout cela, la douleur s'amplifie en gagnant du terrain dans mon corps, en s'intenfiant, autour du foie et de l'épaule, foyer originel de la rédicive osseuse. Les mouvements respiratoires deviennent très douloureux, je suis aussi très fatiguée. Comme j'ai très peur de la dangerosité des médicaments sur l'état de mon foie et que ma situation médicale change vite, j'ai du mal à trouver des réponses thérapeutiques. Chaque fois, la dernière consultation médicale, me semble plus ou moins dépassée par l'évolution de mon état.
De manière générale, j'ai du mal à utiliser toujours plus de morphine, et par manque de chance, le produit prescrit était en rupture de stock à la pharmacie. J'ai donc beaucoup souffert pendant deux jours, les positions habituelles de repos ne m'apportaient plus de réconfort, au contraire, certaines me faisaient encore plus souffrir. Et puis il y a la souffrance mentale : avec la douleur, j'ai la sensation de sentir la maladie s'amplifier dans mon corps, et ma durée de vie me semble se raccourcir d'autant.
En considération que je ressens fortement les signaux d'alarmes de mon corps qui s'allument partout, je me tranquilise un peu. J'en profite aussi pour avancer sur la façon d'envisager la finitude grâce aux discussions avec certains amis. Avec les rares qui le peuvent.
Après un coup de fil à mon hôpital de jour, j'ai fini par tenter de prendre ces comprimés de morphine, malgré ma peur qu'il me provoque de violentes nausées. J'ai enfin été soulagée de la douleur, sans être indisposée par les nausées, ce qui produit un immense soulagement. Je comprends maintenant la raison de la torture : la douleur annéantie l'être humain, corps et âme.
Pour les semaines à venir, c'est le déménagement (et les démarches administratives !) qui va être la priorité. Un déménagement, bien sûr, de princesse, vu mon état. Et d'ascète en même temps, vu que l'objectif est d'emmener le moins de choses possibles et de se débarasser de tout le reste.