Un accident bien enrichissant
C’est ma dernière journée d’hôpital. En attendant les derniers bilans sanguins de confirmation, je fais mon propre bilan personnel de cette épisode dont j’ai la sensation de sortir grandement enrichie.
Comme tous les chocs importants, celui-ci nous a secoué le cocotier à mon compagnon et moi à tel point qu’il a même envisagé d’emménager avec moi en région parisienne, retournant nos idées dans tous les sens. Mais, le plus fort de la crise physique étant passée, je me suis aperçue, à son grand soulagement, que rien de collait vraiment bien avec cette hypothèse. Ce qui nous a renforcé dans notre décision de construire ensemble ma fin de vie à Toulouse, avec les enfants : et là, tout se met à tourner rond et facilement, comme par magie.
J’ai rencontré les médecins de cancérologie avec ce regard et au fil du temps, toute l’équipe médicale qui va me suivre à mon arrivée à Toulouse, s’est construite, dans le dialogue et la confiance. L’hôpital se trouvera à dix minutes à pied de chez moi : finit les pénibles commandes et longues attentes de taxi ! Quelle énergie économisée pour moi et la sécu !
Par contre, cette équipe est complètement opposée à donner une espérance de vie aux malades. Oui, mais, moi, c’était ma demande. Je pensais être capable de l’entendre. J’avais déjà tellement souffert de savoir que je ne pourrais pas profiter d’une retraite, de voir mes enfants devenir adultes et milles autres choses que 30 années de vie m’aurait permis. Et puis de perdre encore 5 ans, sur les dix restants… Mais, voilà, il semblerait que l’être humain ne peut vivre face au mur de la mort annoncée à brève échéance. L’option de cette équipe, c’est d’accompagner les patients en CDI ! Et voilà, j’ai décroché un CDI !
Manger et dormir
Depuis une année, j’accumule les problèmes de sommeil et d’alimentation qui grignotent ma vie et altèrent ma santé. J’étais en train de découvrir qu’il me faut supprimer les graisses cuites de la bonne cuisine française (et espagnole) pour retrouver un appétit presque normal, le problème de déglutition inhérent à la chimio, restant. Personne ne semble comprendre ces difficultés avec la graisse cuite et les desserts bien sucrés (humm !) mais le signal de mon corps est tellement évident qu’il va me falloir réapprendre à cuisiner entièrement autrement. Aucune de envie d’investir mon énergie en ce sens, de jeter mes carnets de cuisine griffonés à la poubelle, mais je n’ai pas le choix.
J’ai aussi fini par me résoudre à prendre des comprimés pour dormir sans à-coups et tordre enfin le cou à l’insomnie : quel bonheur de faire une nuit complète, sans réveils nocturnes et prolongés ! D’autant que bien dormi me permet souvent d’échapper complètement à la douleur pendant une demi-heure, parfois une heure entière le matin.
Cela dit, l’inspiration pour écrire semblait me visitait la nuit avec clarté.
« A combien estime-vous la douleur aujourd’hui ? » Que répondre à cette éternelle question ? Vous entendez la mer quand vous êtes sur la plage ? Toujours, même la nuit, reste un léger clapotis, même si parfois surgit un bref moment de silence. Certains jours aussi, la tempête fait rage et m’effraie parce que je sais ce qu’elle signifie : la maladie s’amplifie toujours plus.
J’ai eu le temps de rencontrer une spécialiste de la douleur (et du sommeil) dont j’ai accepté de tester les médicaments. Parce qu’après deux ou trois nuits d’insomnie accumulée, vient une journée entière de nausée qui m’empêche de manger, de boire. Seuls les yeux clos sous la couette me calment. Puis, j’étais tranquille quelques jours, jusqu’à ce que l’insomnie s’accumule, avec des cycles plus ou moins rapides.
Mais, au bout d’un an, comme la chèvre de Monsieur Seguin, j’ai dû me résoudre à rompre autrement le cycle d’insomnies et nausées invalidantes. A ma grande surprise, je me réveille en pleine forme après la première nuit-test. De toute façon, il était entendu avec le spécialiste que ce recours aux tranquillisants resterait le plus ponctuel possible.
Par contre, pour freiner les douleurs qui ne cessent de monter en puissance, depuis que le foie est sérieusement atteint, je vais devoir prendre un traitement supplémentaire plus systématique. La douleur ronge tellement ce qu’il y a d’humain en l’être que je comprends le pourquoi de la torture !
Communiquer, comprendre
La cancérologue de Toulouse n’étant pas à plein-temps, elle a un assistant interne, qui lui, a dit temps pour parler, répondre à mes questions en l’aidant à éclaicir ses pensées, expliquer les mécanismes biologiques (j’adore !).
A force de parler avec lui, j’ai fini comprendre que cet épisode n’était pas un accident ponctuel, mais les os qui continuent de s’effondrer. Par entendre que l’équipe d’ici fait, bien sûr, le même diagnostic que celle de la région parisienne. Même si elle m’offre un CDI, et me souhaite de faire mentir les statistiques, la finitude se dessine bien de plus en plus nettement à l’horizon.
Du fond de mon lit, je me sentais en pleine forme. Mais, faire quelques pas dans le couloir n’a montré que les déesses guerrières et musiciennes descendaient parfois sur terre pour nous guider, mais que, par nature, leur demeure était là-haut.